La restauration des vitraux de Sainte-Croix à Montélimar (4/4)
Quatrième et dernier volet de ma série d’articles consacrés la restauration des vitraux de l’église Sainte-Croix. Je partage avec vous la belle surprise que j’ai eu en travaillant sur ce chantier que j’ai fait peu de temps avant mon départ de Montélimar pour Tours...
Un trésor peu accessible
Je pense ne pas me tromper en disant que peu de Montilien(ne)s savent qu’au cœur même de Montélimar et de sa collégiale se cache un véritable trésor : de magnifiques vitraux dont les peintures sont dignes des plus grands ateliers et des plus grands peintres verriers de France. À toutes les personnes auxquelles j’ai posé la question, aucune ne connaissait leur existence. Vous ne pouvez pourtant pas les manquer : ils sont visible depuis la rue Sainte-Croix, en dessus de l’entrée principale (le portail ouest).
Mais une fois à l’intérieur de l’église et vu du sol, il est quasi impossible d’admirer cette série de 8 baies, représentant chacune un personnage féminin. Et pour cause : ces splendides vitraux sont cachés par l’immense orgue Beckerath, fabriqué par la Maison Gourjon et installé en 1982. La surface totale des vitraux est considérable (entre 25-30 m2 environ). Il m’a été permis d’y accéder et j’ai pu ainsi prendre toutes les photos que vous verrez dans cet article.
Pas de signature… grande déception
Lorsque je suis face à un vitrail, la première chose que je cherche à savoir, c’est dans quel atelier a été conçu et fabriqué l’œuvre que j’ai sous les yeux. Et malheureusement cette fois-ci, je ne connaitrai jamais les auteurs de ces verrières : pas une signature, aucun nom, aucune date. Si, la seule que je connaisse c’est la date de pose des vitraux : 1895.
Malgré mes recherches auprès des archives de Montélimar et du diocèse de Valence, je n’ai jamais pu trouver une information au sujet de l’atelier qui a confectionné cet ensemble de vitraux. Grosse déception, donc, mais je vais tâcher d’en savoir plus sur les personnages représentés…
La symbolique des vitraux
Depuis ses origines, au-delà de l’aspect décoratif et d’embellissement des édifices religieux, les vitraux permettaient au peuple, majoritairement analphabète, d’apprendre et de comprendre l’histoire de la Bible. On retrouve ainsi 3 types de verrière (ensemble de vitraux) dans les édifices religieux :
- les verrières figurées : elles représentent des personnages reconnaissable par les divers éléments qu’il les entourent ou dont ils sont pourvu
- les verrières historiées : elles illustrent des scènes bibliques ou la vie des saints
- les verrières décoratives : non-figuratives, elles peuvent représenter divers éléments ornementaux.
Les huit verrières peintes situées sur le portail ouest de l’église Sainte-Croix représentent huit personnages de sexe féminin, accompagnés pour certaines d’un élément (fleur de Lys, balance, épée, agneau…). J’ai d’abord cru qu’il s’agissait de Saintes ou de martyrs mais en cherchant sur internet, les personnages représentés ne correspondaient pas. Soit ils étaient de sexe masculin, soit il n’y avait aucun rapport ou aucun lien avec ceux peints sur les vitraux de la Collégiale. Un peu frustré de ne pas connaitre l’identité de ces 8 femmes, je me suis attardé plus longuement sur le texte figurant sous chacun des personnages. Les phrases sont courtes et écrites en latin, donc pas faciles à déchiffrer.
En utilisant un traducteur français-latin, “Beati Mundo corde” est traduit par “Le cœur pur”, “Beati Pacifici” devient “Artisans de paix”… Bref, rien de concluant non plus. En revanche, c’est en faisant une recherche sur chaque groupe de mots que j’ai découvert la clé de l’énigme…
Eureka!
Tous les éléments représentés sur un vitrail ont un sens et rien n’est laissé au hasard. Les personnages, les ornements, les attributs, le texte… Le vitrail parle et fait passer un message. En traduisant du latin la phrase la plus longue (Beati qui sitiunt justitiam) et en faisant une recherche Google à partir de la traduction française (Ceux qui ont soif de Justice), j’ai enfin trouvé la réponse!
Chaque femme est associée à un verset biblique. Et plus précisément au livre de Matthieu, Chapitre 5 et les versets 3 à 10. Dans le religion chrétienne, ce chapitre est l’un des plus importants du nouveau testament, puisqu’il enseigne les qualités que se doit de cultiver un chrétien.
Les femmes représentées sur chaque vitrail ne sont ni des Saintes, ni des martyrs, ni même des personnages réels. Ce sont simplement des allégories, les représentations imagées d’une idée ou d’un concept. Les 8 baies représentent donc les traits de caractère des ‘bienheureux’, pour reprendre le terme utilisé par Jésus lors de son sermont, et se décomposent ainsi, de la baie n°1 à la baie n°8 :
- les pauvres en esprit (personnage représenté sans attributs)
- les affligés (personnage en pleurs, tête baissée)
- les débonnaires (représenté avec un agneau)
- ceux qui ont faim et soif de justice (personnage enchaîné)
- les miséricordieux (avec une épée)
- ceux qui ont le cœur pur (fleur de Lys à la main)
- ceux qui procurent la paix (colombe au bout du bras)
- ceux qui sont persécutés pour la justice (personnage enchaîné)
Cherchez l’erreur!
Maintenant que vous en savez plus sur la signification de ces allégories ainsi que leurs attributs, une petite devinette. Voici la photo des baies 1 à 3 : Il y a une erreur, mais laquelle?
Si l’on reprend le texte biblique et l’ordre des versets, la première baie dont la citation en latin ‘Beati pauperes’ se trouve sous le personnage, représente les pauvres en esprit. Or sous l’allégorie de la seconde baie on peut lire la citation ‘Beatis Mites’ (les affligés). Elle devrait donc représenter le personnage en pleurs habillé en vert. Inversement pour la baie n°3 : la citation ‘Beati Qui Lugent’ devrait être en rapport avec le personnage tenant un agneau dans ses bras! L’explication est évidente : il y a eu erreur lors de la pose des vitraux.
Les ouvriers ont tout simplement inversé les deux personnages des baies n° 2 et 3. Cela dit, l’erreur est humaine. Les ouvriers auraient certes dû bien vérifier à chaque fois l’ordre de montage des panneaux, mais associer visuellement un personnage à un texte en latin si l’on ne connait pas le latin, c’est plus difficile!
Les petits mots de la fin
Le plaisir immense que j’ai à contempler les vitraux dans les édifices religieux vient du fait que, au-delà de la beauté de l’ouvrage, tant au niveau des peintures que de l’assemblage subtil des morceaux de verres, le vitrail nous raconte une histoire. Et que l’on soit croyant ou pas, je suis convaincu que tant de beauté peux difficilement laisser le contemplateur indifférent. Le travail des ces milliers d’artisans qui ont œuvré depuis des centaines d’années nous est parvenu jusqu’à aujourd’hui et font la richesse culturelle et patrimoniale de notre pays qu’est la France.
Pour finir, je ne suis pas peu fier d’avoir réussi à comprendre la signification de ces vitraux. J’y ai passé du temps mais j’ai réussi!
“Avec de la patience, de l'ordre, et de la persévérance, on vient à bout de tout!” (Johann David Wyss)
Si vous avez aimé cet article, vous aimerez peut-être les 3 précédents que j'ai écrits sur cette restauration des vitraux de l'église Sainte-croix. Cliquez pour lire les articles en question :
Petit diaporama de quelques personnages :
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